Le jardin de deux’main
– Commes, Calvados –
Un jardin maraîcher aux élans de tiers-lieu culturel et éducatif
1- Introduction
A l’origine conçu comme un projet individuel – « montrer que l’on peut bien vivre de son métier en créant une ferme cohérente gérable par une personne et en vendant ses produits en circuit-court » -, Le Jardin de deux’main de Guillaume Haelewyn s’est transformé en un vaste projet collectif : outre la production et la vente de ses produits, Guillaume est aujourd’hui entouré de sa famille et d’amis pour animer un atelier éducatif autour de l’agriculture pour les enfants (l’association « Graines de deux’main ») et développer un projet d’espace d’hébergement et d’accueil d’activités culturelles, « L’Arbre, tiers-lieu agriculturel ».
2- Histoire et valeurs du projet
Les terres cultivées
2.1 – L’origine du projet
Fils d’agriculteur, Guillaume a suivi une formation d’ingénieur agronome (ESA) spécialisée en production animale. Il travaille ensuite un an pour une laiterie et se spécialise dans le colostrum.
La survenue d’un événement tragique dans sa famille l’amène à repenser ses souhaits et priorités existentiels. Il part en pèlerinage sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle, et commence à imaginer sa « ferme utopique ».
2.2 – L’intention de départ
Guillaume revient de son pélerinage avec beaucoup d’idées et trois certitudes :
> Faire de la vente directe et mettre l’accent sur le contact avec les gens : « la question du lien social a dès le départ été central dans mon projet, et je trouve mes échanges avec les gens d’ici vraiment très enrichissants et aussi très gratifiants – parce que je constate qu’ils me font confiance ».
> Se vouer à l’agroécologie, « avec dès le départ l’idée d’utiliser les caractéristiques de la nature pour améliorer les capacités de production ».
> S’implanter sur les terres familiales, une ferme de 200 hectares de céréales et 115 vaches, à laquelle il se sent profondément attaché.
2.3 – D’un projet individuel à un projet collectif
Depuis, ses réflexions ont connu une évolution majeure : à l’origine, son projet était façonné par le souhait de faire seul, de « créer une ferme à l’échelle d’une personne, qui montrerait qu’on peut bien vivre de son métier en créant une ferme cohérente gérable individuellement » (ndlr : d’où le nom de la ferme « le jardin de deux’main »).
Si ce projet initial « a tout de suite bien fonctionné et [lui] a directement permis de se verser un salaire », un accident l’amène à vouloir rendre son projet plus collectif : après s’être cassé deux os du pied, il recrute Florian et reçoit l’aide de plus de 120 personnes – principalement des villageois, amis ou clients – durant sa période de convalescence. Un élan de solidarité qui le touche profondément et lui donne envie de revoir son positionnement : « aujourd’hui, comme le jardin fonctionne bien, je souhaiterais le positionner comme un levier pour d’autres créateurs d’entreprises et qu’il serve à faciliter l’implantation d’entreprises connexes. Aujourd’hui, le jardin est capable de faire prendre vie a des rêves pour d’autres… et pour moi aussi, parce que ça me fait rêver ».
3- Réseaux d'appartenance
Outre une forte intégration au sein de la population et du tissu associatif local, Guillaume fait partie de 3 réseaux différents d’agriculteurs :
> MSV – Maraîchage sur sol vivant : « un groupe à l’échelle de la Normandie, un peu technique, et que j’apprécie notamment parce que je m’y suis fait des copains. […] Mais j’ai parfois l’impression qu’à trop vouloir rester dans la technique et ne pas aller sur le terrain des valeurs et de l’impact sociétal, le groupe va finir par se perdre. »
> Agrobio : « le GAB local, en Normandie. Ils m’ont suivi techniquement la première année. Ils m’ont appris beaucoup de choses au début, mais maintenant nos liens se sont un peu distendus ».
> Fermes D’avenir : « on travaille ensemble et on porte vraiment les mêmes valeurs, c’est ce que j’apprécie. Fermes d’avenir portent une vision sociale et une vision environnementale. »
4- Produits et producteurs
Guillaume commercialise uniquement les productions issues de son jardin de 2,85 ha (1,5 ha la première année). Il a fait le choix de produire une grande variété de fruits et légumes bio et se dit « satisfait » de cette orientation prise pourtant un peu contre l’avis général : « au début, tout le monde me disait qu’il ne fallait pas chercher à produire trop de variétés ».
Il dispose également d’un poulailler de 200 poules dont il vend les œufs : il lui paraissait important d’avoir des animaux, parce que « ça a du sens et permet des synergies avec [son] système agricole ».
5- Modalités de commercialisation
Le local de vente
Guillaume vend ses fruits, légumes et œufs dans un périmètre très restreint de « 8-9 kilomètres maximum autour de la ferme ». Deux autres maraîchers bio sont également installés aux portes de Bayeux, mais il dit ne pas être trop impacté par des problèmes de concurrence.
Guillaume a 6 modes de commercialisation :
– La vente directe à la ferme qui, outre de représenter 50% de son chiffre d’affaires, est un moment-clef de création de lien social et de fidélisation : « je pense que 40 % des raisons pour lesquelles les gens viennent acheter chez nous, c’est parce qu’ils apprécient le duo que nous formons avec ma mère. Ce rôle de vente, je le prends pleinement : je ne me vois pas borner mon travail d’agriculteur à la production ».
– La vente directe via la plateforme CoopCircuits
– La vente via un Proxy et une Biocoop. Guillaume se dit heureux de cette collaboration même si intégrer les circuits de distribution classiques implique de faire un effort sur les prix : « La supérette est au milieu des immeubles, donc ça avait du sens pour moi que mes légumes soient disponibles aussi pour la population de ces quartiers urbains. Mais je joue le jeu et lui fais 10% de remise pour que ce soit rentable. Ce sont les 10% que j’offre aux gens qui distribuent mes produits dans le cadre de projets qui ont un sens pour moi ».
– Un présentoir en libre-service, sur le bord de la route longeant sa ferme, comprenant des petits sachets de fruits, légumes, œufs, « tous à deux euros ».
– Une AMAP qui couvre une petite quinzaine de familles.
– L’entreprise de vente en circuit-court Love Bio Bayeux (voir l’étude de cas ici), qui lui achète aussi beaucoup de fruits et légumes pour faire ses propres paniers.
6- Modalités logistiques
Local de stockage / nettoyage
La logistique des ventes s’organise comme suit :
– Les ventes directes à la ferme ont lieu tous les mardis soir, de 16h – 19h 30, dans un bâtiment de la ferme familiale aménagé avec des présentoirs. Guillaume récolte les fruits et légumes le matin pour une vente le jour-même, et est aidé par sa mère qui s’occupe de la caisse.
– Vient ensuite la préparation des paniers pour l’AMAP, entre 19h et 20h30 « à partir des produits récoltés le jour même et complétés par une récolte le lendemain matin ». Guillaume confesse que le mardi est une journée de travail particulièrement lourde, d’autant qu’il lui reste encore 45 minutes pour faire la caisse et la comptabilité dans la soirée. Les paniers pour l’AMAP sont distribués le mercredi soir.
– Pour la vente directe via CoopCircuits, Guillaume met en ligne la liste des produits en vente le mardi soir jusqu’au jeudi soir sur la plateforme, en proposant deux modes de livraison le vendredi matin : retrait des paniers à la ferme ou retrait en point relais (des magasins, des garages de particuliers, des associations). Guillaume met en avant la grande efficacité de ce mode de vente : « Pour le coup je trouve qu’on a vraiment une organisation ultra efficace. Le vendredi, en me levant à 6h pour charger les trucs, on arrive à avoir terminé en une grosse demi-journée en “tapant dedans”. Et parfois on fait le même chiffre en une matinée que la vente à la ferme qui nous prend une journée de 10-11h de travail. »
Pour transporter son matériel et ses produits sur la ferme et dans les environs, notamment aux points de livraison, Guillaume dispose d’un Kangoo électrique (90km d’autonomie). Il a également un partenariat logistique avec Love Bio Bayeux (voir l’étude de cas ici), qui prend en charge une partie de ses livraisons.
Il n’a pas de chambre froide, n’ayant aucun besoin de conservation étant donné qu’il vend ses fruits et légumes seulement quelques heures après la cueillette.
7- Autres activités
Parallèlement à se ferme, Guillaume a deux activités connexes :
> Un atelier éducatif pour les enfants : l’association « Graines de Deux’Main »
> Un projet d’espace d’hébergement et d’accueil d’activités culturelles : « L’Arbre, tiers-lieu agriculturel »page Facebook
7.1 L’association « Graines de Deux’Main »
La serre des graines de deux’main
L’association a été créée par Guillaume et un ami, Brice, essentiellement « par vocation » et comprend une dizaine de bénévoles. Elle accueille tous les mercredi matin pendant deux heures dans une serre spécialement aménagée à cet effet une quinzaine d’enfants entre 4 et 10 ans. Pour les 2 à 4 ans, ils viennent de créer « Baby Graine », un atelier où les parents peuvent également participer :
« Je me sens utile je suis heureux dans ce projet : j’adore les enfants. On fait des ateliers pédagogiques, des ateliers autour du potager, autour de la nourriture, de la cuisine et du vivre ensemble, de l’environnement, tout ce qui est en lien avec la nature ».
N’hésitez pas à vous abonner à la page Facebook de l’association pour suivre son activité.
7.2 – L’Arbre, tiers-lieu agriculturel
La bâtisse qui accueille l’Arbre
L’idée initiale était de créer un lieu « caractérisé par la bienveillance, dans lequel on peut se retrouver avec des voisins ». Le projet a été imaginé par Guillaume, sa sœur, son apprenti, Victor, qui travaillait alors sur la ferme et un ami d’enfance, Aurélien (Historien de formation, travaillant aujourd’hui dans la Culture et conseiller municipal à Bayeux). Tout cela sous le regard attentif et les conseils avisés de ses parents qui leur ont mis à disposition des bâtiments et financent le gros des travaux de rénovation.
Dans la continuité de cette idée, ils ont imaginé la création d’un espace de coliving (15 personnes), c’est-à-dire un coworking associé à une capacité d’hébergement. L’espace est en cours d’aménagement et comprendra notamment une salle de spectacle, « qui pourra aussi servir pour des formations, des cours, et bien sûr du théâtre et de la musique ».
N’hésitez pas à visiter la page de son site Internet et à soutenir le projet.
8- Modèle humain : RH et gouvernance
8.1 Ferme et vente en circuit court
Le nombre et le type de personnes travaillant à ses côtés a beaucoup évolué :
> 1ère année
– Guillaume travaille seul sur la ferme, avec seulement une aide ponctuelle de sa famille
> 2ème année et 3ème année
– Embauche de Florian, salarié à temps complet à partir de juillet 2018 jusque début 2020.
– Embauche d’un apprenti de septembre 2019 à septembre 2020
– Embauche de stagiaires rémunérés au début
> Aujourd’hui
– Guillaume est le seul travailleur à temps plein sur la ferme (ni apprenti, ni salarié)
– Il reçoit des stagiaires (non-rémunérés) 6 mois par an, de façon plus informelle, en échange d’un temps passé à la formation, ainsi qu’une aide de sa mère pour la vente directe les mardis
Guillaume dit travailler 43 h par semaine en moyenne : 30 à 35 heures en basse saison, 45h pour les 4 mois en demi-saison et 55h en saison haute. Guillaume prend de petites vacances en hiver, mais pas en été parce que sa ferme « est le meilleur endroit pour être en vacances ». En revanche, il prend parfois « un grand week-end » en haute saison et essaie de ne pas travailler le vendredi après-midi et les week-ends.
8.2 Associations
> Graine de deux’main : Guillaume et Brice sont entourés d’une dizaine de bénévoles
> L’Arbre : en plus de Guillaume et Aurélien, l’arbre comprend déjà plus d’une soixantaine de membres actifs.
9- Modèle juridique
Le jardin de deux’main est une Entreprise Individuelle, mais les activités connexes sont sous le modèle associatif – loi 1901.
10- Modèle économique
9.1 Pour son activité de distribution
Guillaume a créé sa ferme avec un budget de 35.000€, qui ont notamment servi à acheter 4 serres. Il loue ses terres et son local de vente à ses parents.
Guillaume nous a donné son chiffre d’affaires des deux dernières semaines de septembre 2020, pour montrer les variations tant dans leur montant total (3100€ la première semaine, 2750€ la deuxième) que dans la répartition des modes de vente :
En règle générale, il fait 50% de son CA lors des ventes directes à la ferme. Le chiffres d’affaires de ce type de vente varie normalement de 500 euros à la plus basse saison à 2000 euros en haute saison, avec une hausse très sensible depuis le début du Covid-19 : « là on a quand même changé de dimension avec le COVID : on a fait plus de 150 % pendant le confinement et on a gardé peut-être 30 % ensuite, ce n’est pas rien ! ».
Les ventes via CoopCircuits représentent environ 35% de son CA et 15% via d’autres modes de vente directe (supérettes locales principalement).
9.2 Pour les activités associatives :
> L’Association Graine de deux’main est financée par des frais d’inscription de 160€/an par enfant ou 120€ par enfant s’il y a deux enfants inscrits, afin “de couvrir les frais de l’espace, mais aussi pour ne pas faire de concurrence déloyale aux autres associations locales dédiées aux enfants”. Guillaume et Brice réalisent ces ateliers bénévolement.
> Pour le tiers-lieu, l’Arbre : les travaux de rénovation des bâtiments (150.000 euros) sont principalement financés par les parents de Guillaume. A terme, le coworking/coliving devrait assurer le gros des rentrées d’argent et permettre de couvrir les charges du lieu et de payer Aurélien. L’association est également en recherche de subventions : « on a essayé l’intercommunalité, parce que la commune ici n’est pas riche. Aurélien étant élu à Bayeux, ça facilite quand même beaucoup de choses. En Local il y a une confiance sur ce qui se passe ici donc c’est plus facile pour parler aux acteurs locaux. On a aussi sollicité la Région et l’Europe. On a également des pistes pour du mécénat privé comme la fondation Crédit Agricole ».
11- Communication et marketing
Guillaume qualifie sa clientèle de « sociologiquement très diversifiée », mais principalement constituée de retraités et de familles ; et précise en outre qu’il a « du mal à toucher les gens en dessous de 30 ans […] Ce n’est qu’à partir du moment où les gens ont des enfants qu’ils commencent vraiment à réfléchir à l’alimentation ».
Au tout début, il a distribué quelques tracts dans les boîtes aux lettres pour se faire connaître aux alentours. Sa communication repose avant tout sur les liens interpersonnels qui se créent lors des ventes directes, mais sa Newsletter (via Mailchimp) joue également un rôle clef pour maintenir le contact – et c’est une activité d’écriture qui lui plait : « j’écris toutes les semaines aux gens le mardi soir, avec une photo différente toutes les semaines, l’humeur de la semaine aussi, les petites nouvelles. Je me sens la responsabilité de leur dire ce que je fais, ce qui se passe en ce moment, ce qui va bien, ce qui va moins bien… J’ai une base de données de 330 mails, et en moyenne 150 ouvrent la newsletter, ce qui n’est pas rien ! » Guillaume organise également des événements sur la ferme qui contribuent à sa notoriété locale, comme le festival Soyons Demain.
Guillaume s’occupe également des sites web et pages Facebook de ses différents projets :
12- Enjeux et avenir
Guillaume souhaite diminuer le temps qu’il passe à la partie production agricole, « en continuant à gagner en efficacité », mais aussi « en réduisant petit à petit la taille de la ferme » – en plantant des arbres, principalement des pommiers et poiriers nains pour ne pas faire d’ombre, en lignes distantes de 24 mètres.
Le temps gagné lui permettra notamment de se concentrer davantage au développement du tiers-lieu – organisation d’évènements et ouverture prochaine du coworking/coliving.
13- Récap !
Nom de l’organisation : Le Jardin de deux’main
Adresse : Lieu dit l’Escures – 14172 COMMES
Site Web :
– Le site du jardin de Deux’Main et sa page Facebook
– La page facebook de l’association Graines de Deux’Main
– Le site du tiers lieu l’Arbre
Nom du référent : Guillaume Haelewyn, maraicher, créateur du jardin et co-fondateur des deux associations
Territoires desservis : Commune de COMMES et 10km aux alentours
Structure juridique : EI pour le jardin, associations loi 1901 pour les deux autres structures
Date de création :
– Juillet 2017 pour le jardin
– 2019 pour l’association « Graines de deux’main »
– 2020 pour » L’Arbre », tiers lieu agri-culturel
Quel volume approximatif de ventes / de CA ? Entre 1500 et 3000€ de CA par semaine
Activités principales : Système en 100% vente directe et optimisé sur 2 jours seulement consacrés à la récolte et à la vente. Commercialisation via une boutique à la ferme – une prise de commande par internet – un dépôt/vente accessible 7j/7 à la ferme et quelques clients professionnels (supérette, biocoop…).
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