Interopérabilité numérique : un levier pour le changement d’échelle des circuits courts ?

Par Myriam Bouré
 25 février 2021
Temps de lecture estimé : 7 min

De plus en plus les opérateurs de circuits courts s’appuient sur des outils numériques pour le fonctionnement de leur activité, que soit sur les ventes (logiciels de type e-commerce), la logistique (logiciels de mutualisation logistique), le marketing (logiciel d’emailing) mais aussi l’administration comme la facturation, la comptabilité, etc.

Pourquoi les données doivent-elles pouvoir facilement circuler entre outils numériques ?

Un producteur va souvent vendre via plusieurs canaux de distribution, ce qui est d’ailleurs souhaitable pour la résilience de son activité, il ne met pas “tous ses oeufs dans le même panier”. Chaque distributeur utilisant des outils potentiellement différents de commercialisation, le producteur va devoir saisir son catalogue sur chacune des plateformes utilisées. Il devra aussi penser à effectuer les mises à jour sur toutes les plateformes, et s’assurer qu’il ventile bien son stock pour éviter de survendre. S’il est obligé de ventiler son stock, il peut perdre une partie de sa production, qui sera invendue sur la plateforme concernée mais aurait pu être vendue sur une autre s’il avait pu ajuster son stock de manière dynamique.

Selon les modèles de commercialisation de ses différents distributeurs, il devra éditer des factures parfois groupées (une facture pour la vente de la quantité totale de marchandise pour un distributeur en achat-revente) et parfois, individuelles, pour chaque consommateur (pour des distributeurs ayant un modèle ‘d’apport d’affaire”, c’est à dire qui ne font qu’une mise en relation pour que le producteur vende en direct sa marchandise au consommateur final, et qui ne fonctionnent donc pas en achat-revente). La récupération des données de ventes et leur intégration dans un logiciel dédié pour établir les factures peut s’avérer un véritable calvaire.

Aussi, chaque producteur va livrer ses clients de manière souvent indépendante. Certains distributeurs organisent des tournées logistiques pour récupérer les marchandises commandées. Parfois, les producteurs qui vendent via le même canal vont s’organiser de manière autonome pour livrer ensemble leurs produits, éventuellement via des plateformes de mutualisation logistique comme La Charrette ou Le Chemin des Mûres. Mais ces mutualisations restent à l’échelle d’un groupe de producteurs qui se connaissent, ou d’un canal de distribution donné. On pourrait aller plus loin si l’on était capable de mutualiser les données de ventes multicanales, et donc les données de flux associés. Des logisticiens pourraient alors construire des tournées optimisées indépendamment des canaux de distribution concernés. Ou alors, les producteurs pourraient s’organiser pour co-livrer avec des producteurs qui ne livrent pas les mêmes canaux de distribution, et qu’ils ne connaissent pas forcément, mais qui ont des trajets compatibles.

Pourquoi aujourd’hui les données ne circulent pas : l’absence de standard

Un standard est une convention sociale qui permet de communiquer, d’échanger, de faire ensemble. Le code de la route, la comptabilité, la monnaie, le français, sont tous des standards. On peut ensuite exprimer plein de concepts, faire de jolis phrases, mais le fait qu’on s’exprime en français permet aux autres habitants de nous comprendre. Sans standard, pas facile d’échanger ! Il faut à chaque fois des traducteurs qui font l’intermédiaire.

Pour les données numériques, c’est pareil. Chaque logiciel peut avoir son propre fonctionnement, ses concepts, sa façon de voir la réalité, si les différents logiciels adoptent un même standard de communication, d’échange de données, ils pourront communiquer, partager des données, les rassembler pour en faire ensemble un usage utile pour la société.

Un standard est librement adopté, au contraire d’une norme qui contraint par la force publique le respect d’une façon de faire. En ce sens, le code de la route ou la comptabilité sont des normes, on parle d’ailleurs de normes comptables. Mais dans le monde numérique, différents acteurs essaient d’imposer leurs propres standards à l’ensemble du monde numérique. Ainsi Google et les autres GAFAM sont à l’origine du standard schema.org et tentent d’imposer à tous les acteurs du web une façon de présenter les données pour qu’elles soient lues par les moteurs de recherche. GS1, en France et à l’international, met au point des standards avec différents acteurs des écosystèmes concernés. Mais dans le champ de l’alimentaire, ces standards ont été conçus par et pour la grande distribution et les industriels (avec notamment le fameux code barre), et ne sont pas adaptés aux circuits courts alimentaires.

Les logiciels utilisés par les producteurs et distributeurs en circuit court ne suivent aujourd’hui aucun standard et c’est pour ça que les données de produits, stock ou flux (dans le cas de la logistique) ne circulent pas bien d’un outil à l’autre et posent tous les problèmes évoqués plus haut.

Data Food Consortium : un projet de co-construction d’un standard de partage de données pour les acteurs des circuits courts

Pour défaire ce noeud central qui empêche les gains d’efficacité, et donc le développement et le changement d’échelle des circuits courts, Open Food France a impulsé en janvier 2017 la création d’un consortium réunissant différents acteurs porteurs de solutions logicielles et logistiques pour les circuits courts : Data Food Consortium. Ce consortium construit donc, d’une manière collaborative et ouverte, dans la philosophie des communs, un standard répondant aux besoins des acteurs des circuits courts. Pour en savoir plus sur l’avancement du projet, ou le rejoindre, consultez le site dédié au projet !

Et pour une réflexion de fond sur les enjeux autour des standards, cet article peut vous intéresser.

Conscients des enjeux autour du dépassement de cette barrière technique, les partenaires historiques d’Open Food France, la Fondation Macif et la Fondation Daniel & Nina Carasso, ont soutenu depuis le début ce projet. La Région Ile-de-France y voit également un moyen de résoudre à moyen long terme les défis logistiques posés par la démultiplication de petits trajets multidirectionnels liés aux circuits courts (nombreuses livraisons de petits volumes avec retour à vide).

Image source: KiddoWikimedia Commons license

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