Circuits courts : une diversité de modèles au service de la résilience alimentaire
Par Myriam Bouré
30 juin 2017 – mise à jour mars 2021
Temps de lecture estimé : 10 min
En France, et dans de nombreux pays, les circuits courts ont le vent en poupe : les individus prennent conscience des enjeux et impacts de leurs actes de consommation.
– Impacts sur leur santé : rien de plus sain et nourrissant qu’un fruit cueilli à maturité et cultivé de manière naturelle.
– Impacts en matière de sécurité alimentaire : une ville comme Londres n’a que 3 jours d’autosuffisance en cas de rupture de pétrole. Seul 2% de l’alimentation des villes est produite localement, et 98% de ce qui est produit est exporté (source: étude Cabinet Utopies 2017).
– Impacts sur le dynamisme économique : la multiplication des échanges économiques sur un même territoire est facteur de développement et d’emploi.
Une croissance rapide
Avec des taux de croissance à 2 chiffres depuis 10 ans, le secteur de l’alimentation locale se développe, via des initiatives et modèles pluriels. Différents acteurs expérimentent de multiples façons d’organiser les échanges en circuits courts, avec des modèles opérationnels et économiques variés. Au-delà des fameuses AMAP et “Ruches”, il existe de nombreux modèles de groupements d’achat, épiceries coopératives, centrales d’achat, distributeurs indépendants, organisant des ventes/achats en circuit court. Mais il est aujourd’hui impossible de rendre pleinement compte de ce secteur, de nombreuses initiatives étant organisées de manière informelle, et non fédérées en réseaux, donc ne produisant pas de statistiques.
Une diversité de modèles
Via le réseau Open Food Network, et en particulier en France, Open Food France, nous sommes en lien avec de nombreux opérateurs de circuits courts aux modèles variés. Cela nous a amené à amorcer un premier niveau d’étude comparative des modèles mis en œuvre, avec l’idée de pouvoir ensuite construire des outils pour accompagner les porteurs de projets et les aider à choisir (et hacker) les modèles qui semblent les plus adaptés à leur situation. L’idée est aussi de mettre en lumière des modèles organisationnels peu médiatisés, et pourtant très efficaces, créateurs d’emploi sur les territoires, et rendant l’alimentation locale accessible à tous.
Les distributeurs alimentaires en circuit court
L’activité de distribution couvre les opérations qui vont de l’organisation des commandes/ventes à la livraison au client. En circuit court, ce distributeur peut être le producteur lui-même dans le cas de la vente directe, un groupe de producteurs par exemple dans le cas d’un drive fermier, un groupe d’acheteurs dans le cas d’un groupement d’achat, ou un intermédiaire externe non géré par les producteurs ni les consommateurs. Nous entendons donc ici le terme de distributeur au sens large, comme l’entité formelle ou informelle qui organise/coordonne les commandes et les livraisons.
Panorama comparatif
Avec Raphaelle Delporte, contributrice d’Open Food Network, nous avons travaillé à un premier cadre d’analyse des acteurs, avant tout pour nous permettre de mieux comprendre l’organisation du secteur et ainsi accompagner au mieux les porteurs de projets. Cette première classification est certainement discutable, et nous la publions telle quelle avec une volonté d’itérer de façon collective pour améliorer le modèle avec l’ensemble des acteurs concernés. Nous avons identifié 4 grandes familles de circuits courts :
1- La vente directe
Ici, aucun intermédiaire ni regroupement. Chaque producteur gère en direct la vente de ses propres produits, et uniquement de ses produits. Ce modèle permet au producteur de garder l’intégralité de la marge, tout en offrant des produits très bon marché aux consommateurs. D’après notre expérience, ce modèle fonctionne mais a aussi des limites, principalement car les consommateurs souhaitent souvent pouvoir acheter une diversité de produits en un même endroit, ce qui est difficile en pure vente directe, sans mutualisation de différents catalogues produits.
2- La vente groupée
Dans le cas de la vente groupée, plusieurs producteurs décident de distribuer ensemble leurs produits, offrant ainsi une diversité de choix plus grande, et des volumes potentiellement plus importants, répondant ainsi à la demande des consommateurs, mais aussi des transformateurs ou restaurants collectifs. Les producteurs ainsi organisés peuvent également mutualiser une partie des coûts logistiques et de commercialisation. Ici, le collectif de producteur constitue le distributeur alimentaire.
3- L’achat groupé
Une autre grande famille de circuits courts concerne les achats groupés. Il s’agit pour des acheteurs de se regrouper afin de sélectionner des fournisseurs et de négocier les conditions d’achats, du fait des volumes importants commandés. Souvent, des individus regroupés dans un groupement d’achat peuvent bénéficier des mêmes conditions d’achat qu’un professionnel, une boutique par exemple. Les produits peuvent être 20 à 50% moins chers, ce qui renforce l’accessibilité des produits bio/locaux pour tous. Les acheteurs organisés ensemble constituent le distributeur alimentaire.
4- La vente directe intermédiée
Enfin, nous avons regroupé au sein de la dernière famille les intermédiaires externes qui font le lien entre consommateurs et producteurs. L’intermédiaire n’est gouverné et organisé ni par les producteurs, ni par les acheteurs, mais par une entité tierce. L’organisation, la commercialisation et la logistique sont gérés par ce tiers qui joue alors ce rôle de distributeur.
Des modèles souvent hybrides
Dans la plupart des cas, un opérateur va être à cheval sur plusieurs modèles de distribution, qu’il opère en parallèle. Par exemple, un producteur bio local vend sur le marché sa propre production, mais aussi des produits de fermes et d’artisans de son territoire. En plus, il achète des agrumes bio à des grossistes à Rungis et les revend sur son stand. Dans ce cas, il est à la fois sur l’activité vente directe / vente mobile sur stand et sur l’activité vente directe intermédiée / épicerie — primeur, avec une activité achat-revente à la fois auprès de producteurs locaux et d’un grossiste. Le Jardin de Deux’main en Normandie fait de la vente à la ferme le vendredi matin, vend sur pré-commande en ligne avec livraison en point relais, vend à quelques magasins autour de la ferme, et fournit aussi une AMAP avec retrait des paniers à la ferme. Autre exemple, la frontière est parfois floue entre ventes et achats groupés, et les modèles sont souvent hybrides, regroupant par exemple dans une coopérative à la fois des producteurs et des acheteurs. La Grande Barge à Nantes organise à la fois des groupements d’achat dans plusieurs quartiers de la ville, les Micromarchés, et gère une micro-épicerie/café-bar-restaurant, jouant ainsi un rôle d’intermédiaire sur un modèle d’achat-revente en circuit court.
Différents modèles, différents impacts
Ces différents modèles organisationnels ont bien entendu des impacts différents sur l’écosystème d’acteurs, sur le plan environnemental, social et économique.
1- Impacts économiques
La plupart de ces modèles ont pour objectif d’améliorer le niveau de revenu du producteur, qui lorsqu’il vend en circuit court, valorise mieux ses produits et son travail. A condition bien entendu qu’il calcule correctement son prix de revient et inclut l’ensemble des coûts logistiques, ce qui n’est pas toujours le cas. Mais le distributeur alimentaire peut aussi dans certains modèles être source de création d’emploi, ou de revenus complémentaires pour ceux qui les pilotent, comme dans le cas d’AlterConso à Lyon par exemple qui compte plus de 8 salariés, ou des “Ruches” qui sont souvent un complément de revenus pour ceux qui les gèrent. La plupart de ces distributeurs (mais pas tous !) permettent aux membres/clients d’avoir accès à des produits locaux souvent bio, à des prix bien plus intéressants que dans les circuits de distribution classiques, et permettent donc de faire des économies et de renforcer l’accessibilité des produits locaux, comme dans l’exemple du Collectif Court Circuit.
2- Impacts environnementaux
En reconnectant producteurs et consommateurs, les distributeurs alimentaires en circuits courts développent aussi la sphère d’influence des consommateurs : les circuits courts s’accompagnent souvent de conversion au bio, ou a minima de pratiques minimisant l’usage de pesticides et fertilisants de synthèse. Ils offrent aussi de nouveaux débouchés aux producteurs bio, soutenant ainsi l’installation de nouveaux producteurs. Par contre, les circuits courts sont critiqués pour leur impact potentiellement négatif sur l’environnement en matière d’émission CO2 : une étude de l’ADEME montre que paradoxalement, le nombre de km par calorie peut être supérieur aux chaînes d’approvisionnement centralisées des grandes surfaces, car de nombreux acteurs vont faire de multiples trajets de courte distance avec des véhicules non remplis.
3- Impacts sociaux
Les distributeurs en circuit court ont des approches plus ou moins communautaires, et des modes de gouvernance plus ou moins impliquant pour les parties prenantes. Certains développent des modèles permettant réellement de recréer des moments de convivialité, partage et co-construction dans les quartiers et les immeubles, comme par exemple le groupement d’achat Panier Rusé à Lille qui organise des ateliers de partage de savoirs, ou l’association VRAC (Vers un Réseau d’Achat en Commun) qui vise à développer des groupements d’achats dans les quartiers défavorisés. L’impact social de ces distributeurs touche aussi à la protection sociale du producteur. Les AMAP par exemple vont particulièrement loin en instaurant un principe de partage des risques via le prépaiement des récoltes en début de saison, qui assure au producteur une rémunération digne même en cas d’aléas sur la production. Aussi, quand on sait qu’un agriculteur se suicide tous les 2 jours en France, les distributeurs en circuit court contribuent, en améliorant la situation économique des producteurs, à freiner ce phénomène.
Conclusion
Après ce premier niveau d’analyse, il nous faut aller plus loin, étudier en profondeur les modèles économiques et organisationnels, les documenter, et à partir de ces travaux, développer des outils d’accompagnement et d’essaimage. C’est la mission que s’est donnée l’association Open Food France !
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